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  • Photo du rédacteurAmandine Kaléidoscope

Arbre de vie narratif en santé mentale : des récits identitaires qui s'émancipent des diagnostics

Dernière mise à jour : 12 avr. 2023

J'ai pu constater comme professionnelle de l'accompagnement exerçant en santé mentale que le parcours d’une personne souffrant de troubles psychiques implique souvent de nombreux soignants à l’oeuvre dans un suivi pluridisciplinaire qui se veut global. A cela s’ajoutent les nombreux mouvements de professionnels. Les personnes suivies sont ainsi souvent contraintes de se raconter maintes fois, devant relever différents éléments du passé pour alimenter l'intitulé « Histoire de la maladie » du dossier. A force de répétitions, ces discours stériles et du côté quasi-exclusif de la « déficience », peuvent se figer en une « vérité » qui dit tout de l’individu, confirme son diagnostic sans laisser de jeu pour laisser d’autres formes d’être s’exprimer.


« Toute l’histoire de la souffrance crie vengeance et appelle récit » disait Ricoeur. Mais ces récits-là qui reprennent à leur compte un bric-à-brac d’éléments diagnostics et d’expériences malheureuses, tournent à vide, rigides à force d’avoir étés ressassés, confortant sans cesse un sentiment d’impuissance et de désappropriation. Il ne permettent plus d’ « affronter les surprises, les hasards de la condition humaine (…) de remédier à la prise insuffisante que nous avons sur cette condition » (J. Bruner).


D’autres histoires, souples, fertiles, doivent pouvoir se raconter.


Ainsi, la métaphore de l’arbre de vie, telle que présentée par D. Scherrer dans sa forme individuelle ( Accompagner avec l'arbre de vie, 2018 ) et découverte lors de ma formation aux pratiques narratives, m’a semblé une approche intéressante pour contribuer à favoriser l’émergence de récits alternatifs plus en accord avec les aspirations des personnes, que ce soit dans le champ de la santé mentale ou ailleurs.

 

Chacune des trois personnes évoquées ci-après entamait une période de transition propice à la (ré)-écriture de leurs histoires. À ma proposition, elles se sont saisies de feutres de couleur afin de choisir les mots pour dire leur expérience. Elles les ont notées en silence, concentrées sur le papier, dans une action qui leur était inhabituelle. Le plaisir de se mettre en activité d’écriture a été relevé par Marcel : « J’ai bien aimé être actif d’une autre manière que seulement oralement ». Être face à la feuille blanche et au silence a pu faciliter le contact avec son intériorité comme pour Zora : « J’ai dit ce que je voulais et j’ai senti qu’il y avait quelqu’un qui m’écoutait à l’intérieur de moi ».

Des racines aux fruits, leurs récits ont peu à peu pris forme dans une cohérence suggérée par l’agencement des parties de l’arbre. Les expériences se sont déployées sur le papier et dans nos conversations dans une temporalité propre au récit, reliant expériences influentes du passé, valeurs et projets entre présent et avenir.


La forme de l’arbre permet une visualisation claire des éléments importants de la vie des personnes, la matérialité de l’écriture concourant à leur donner davantage de consistance et de réalité.

Zora dit par exemple en indiquant les racines (son histoire) : « Je savais que c’était quelque chose de vraiment mal mais je l’ai accepté » puis en pointant le sol (les besoins) : « Mais maintenant je ne l’accepte plus ». Marcel souligne quant à lui: « Cela m’a permis de rassembler les points importants de mon parcours ». Laetitia dit de l’accompagnement : « Il m’a aidée à revoir tout le chemin parcouru et les étapes que j’ai réussi à atteindre ».

Selon Michèle Petit, anthropologue, la simple mise en récit pourrait avoir un effet habilitant pour celles et ceux qui (se) racontent : « Par le fait d’être mis en ordre, en récit, une situation de passivité et d’impuissance est transformée en action par l’écrivain ».

Zora parle du processus comme d’une affirmation progressive de son identité et de sa capacité à agir : « J’ai compris petit à petit que j’étais Zora et que je peux faire ce que je veux ».


Les questions posées lors des conversations permettent au/à la praticien.ne de soutenir le processus d’émergence d'une contre-histoire en l’étoffant. L’illustration par des anecdotes permet de densifier le récit et de préciser les mots écrits pour qu’il soient chargés de sens pour la personne. Curieux.se, ouvert.e à l’inattendu, le/la praticien.ne doit inviter la personne à donner des détails sur elle, les personnes, les actions, comme le ferait un écrivain travaillant ses personnages. Son intérêt pour les intentions et les valeurs redonne une importance souvent négligée à ce qui est un puissant vecteur de choix et du sentiment de sa dignité.

Marcel dit : « Je pense avoir pu mettre en valeur des choses que je n’avais pas oubliées mais peut-être mises de côté ». Il ajoute que cela le conforte « sur le bon choix du changement à venir ». Pour Laetitia : « Cet accompagnement m’a été utile en me faisant reprendre confiance en mes capacités personnelles. Il m’a permis de voir réellement comment les choses évoluaient dans ma vie ».


L’arbre se fait l’écho d’autres voix, l’identité étant considérée dans sa dimension relationnelle. Qui sait que vous avez cette qualité, pourquoi, qu’est-ce que cet ami en a observé? Ceci va renforcer la réalité et l’influence du mot puisqu’il est reconnu par d’autres et permettre également de donner de l’ampleur aux récits alternatifs en les inscrivant à plus grande échelle. Les liens avec certaines personnes sont reconsidérés afin de bénéficier davantage de relations gratifiantes. Arrivée aux feuilles, Zora n’a trouvé personne de soutenant et de valorisant. Nous nous sommes remémorées la mention de son père décédé alors qu’elle était très jeune lors de l’écriture des racines. Et cette phrase, qu’elle se souvenait l’avoir entendu prononcer, dans un contexte de guerre et d’extrême pauvreté, et qui semblait maintenant avoir irrigué à elle seule, sans aucun autre moyen que le simple pouvoir de ces mots, tout ce qui lui a permis de résister : « Le stylo, c’est la vie ».

 

La sève du sens a commencé à couler dans les arbres et certains effets de ces récits de résistance se sont déjà fait sentir. De jeunes pousses ont commencé d’affluer vers « Une vie de travail et d’autonomie » (Zora), « Une vie paisible et autonome » (Laetitia) et « Une vie dans la nature » (Marcel). Il et elles pourront revenir sur ces documents mais l’accompagnement des auteurs/autrices ne s’arrête pas encore, d’autres conversations narratives et documentations poétiques pourront contribuer à entériner les nouveaux récits identitaires : poèmes narratifs, recueil d’expériences…

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